Après avoir tenté de faire du dupatta une simple étole « boho-chic » dans les rues européennes, voilà qu’une autre maison de luxe tente sa chance avec un autre emblème du patrimoine sud-asiatique : la sandale Kolhapuri. Prada, géant de la mode italienne, a récemment levé un tollé en lançant une paire de sandales qu’elle présente comme des « chaussures ouvertes à talon carré », mais qui, pour tout œil avisé, ne sont qu’une réinterprétation trop familière… des kolhapuris, ces sandales artisanales venues du Maharashtra.

Déjà, il n’y a pas si longtemps, nous évoquions le cas du dupatta, ce tissu chargé de symboles et d’histoire que certaines marques européennes s’appropriaient sans jamais en nommer l’origine. Avec Prada, le scénario se répète : design quasi identique, matériau similaire, mais surtout, absence totale de reconnaissance culturelle, du moins au départ.

Si la maison Prada revendique s’être « inspirée » de la sandale traditionnelle indienne, les premières publications de la marque ne mentionnaient ni le terme Kolhapuri, ni l’héritage artisanal qui s’y rattache. Résultat : les réseaux sociaux se sont enflammés. De nombreux internautes et créateurs indiens ont dénoncé cette appropriation flagrante, rappelant que la Kolhapuri n’est pas un simple objet de mode, mais le fruit d’un savoir-faire transmis de génération en génération, inscrit dans des circuits économiques locaux déjà fragiles.

Sous la pression médiatique, Prada a fini par reconnaître l’inspiration indienne de sa sandale et a annoncé un projet de co-branding avec La MACCIA, une marque artisanale revendiquant des liens avec le patrimoine Kolhapuri. Mais cette tentative de réhabilitation ne suffit pas à faire oublier le geste initial. Car au-delà du mea culpa, une question demeure : pourquoi faut-il toujours attendre la polémique pour que les maisons occidentales reconnaissent leurs emprunts culturels ?

Ce n’est pas la première fois que la mode de luxe flirte avec l’héritage sud-asiatique sans lui rendre hommage. Récemment encore, Prada avait lancé une paire de « pumps à broderie dorée » que les communautés sud-asiatiques ont immédiatement identifiées comme une version glamourisée… de la Punjabi jutti. Là encore, ni mention de l’origine, ni collaboration avec des artisans, ni contexte historique.

kolhapuri jutti

Comble du cynisme : peu après la polémique, des représentants de Prada se sont rendus en Inde, précisément à Kolhapur, pour rencontrer les artisans locaux. D’après le Journal du Luxe, la marque a même parlé de “valoriser l’héritage traditionnel et soutenir l’artisanat local”. Mais cette visite soulève plus de questions qu’elle n’en résout : s’agit-il d’un réel engagement envers les communautés concernées ou simplement d’une opération de communication pour éteindre l’incendie ? Car la vraie reconnaissance ne vient pas après la controverse. Elle se manifeste en amont, par la collaboration, le partage de valeur et la mise en lumière des savoir-faire.

Au fond, cette histoire dépasse Prada. Elle pointe du doigt un problème systémique dans la mode globale : la valorisation esthétique sans valorisation culturelle. L’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et d’autres pays d’Asie du Sud sont depuis longtemps des laboratoires d’inspiration pour les créateurs du Nord, mais leurs voix, elles, restent trop souvent absentes des campagnes, des défilés, des bénéfices.

Comme nous l’écrivions dans notre article sur le dupatta, “ce que l’Europe perçoit comme une pièce ‘exotique’ est souvent, pour nous, un héritage, un symbole, voire un outil de résistance.” Il est temps que les grandes maisons comprennent qu’on ne peut pas s’approprier une culture sans en reconnaître l’histoire, la douleur parfois, et surtout : les détenteurs légitimes.