La mode occidentale… toujours prête à « découvrir » des tendances vieilles de plusieurs siècles comme si elles sortaient tout droit d’un studio de design nordique. Dernière trouvaille ? Le dupatta — pardon, le châle scandinave — accessoire incontournable d’un été “esthétique” en Europe. Sauf que cette pièce, pilier vestimentaire de l’Asie du Sud, ne date pas d’hier. Spoiler : elle n’est ni nouvelle, ni scandinave. Et cette fois, la communauté sud-asiatique ne compte pas laisser passer le coup du rebranding silencieux.

Il était une fois sur TikTok, une marque européenne prénommée Bipty, qui a eu la brillante idée de réinventer le style en drapant un foulard transparent sur une robe d’été. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Sauf qu’elle a appelé ça un « look scandinave ». Classe. Non, en fait : scandaleux. Mais pourquoi s’arrêter là ? Appelons un sari une « robe tropicale à pans multiples » tant qu’on y est !

En réalité ce que Bipty présentait comme une révolution fashion n’était autre qu’une copie conforme du dupatta, cet élément vestimentaire traditionnel porté depuis des siècles au Pakistan, en Inde, au Bangladesh, au Sri Lanka etc… Autrement dit : une pièce de fierté culturelle dérobée et ré-emballée pour les consommatrices occidentales sous un joli filtre « minimaliste nordique ».


Des créateurs et créatrices TikTok sud-asiatiques ont réagi en détournant la tendance avec humour et piquant : « Juste une fille s’assurant que son châle scandinave est parfait pour l’été européen », disent-ils, posant avec leurs dupattas vaporeux. L’ironie est mordante, la justesse implacable. Parce que quand une culture est redécorée et renommée, ce n’est pas de la mode, c’est de l’effacement. C’est du colonialisme textile. C’est du marketing déguisé en vol culturel, avec une petite option monochrome.

Comme le souligne si justement l’article de Fashion Magazine, ces critiques ne viennent pas de nulle part. Le dupatta n’est pas seulement un accessoire : c’est un symbole d’élégance, de pudeur, de spiritualité, et souvent de résistance. Le fait de le renommer et de le repositionner comme un accessoire d’été stylisé pour les Européennes ne fait que banaliser une pièce chargée d’histoire.

Un excellent exemple visuel de cette prise de position se trouve sur Instagram, où l’artiste et militante culturelle @saahilm_ partage une photo légendée : « the scandinavian girlies in their summer era » — une référence acide au phénomène. Cette image, où l’on voit un modèle poser fièrement en dupatta dans un décor très « influencer-friendly », tourne en dérision l’appropriation avec autant d’esthétique que de force politique.


Et ce n’est pas une première. Rappelons-nous :

Reformation et le lehenga oublié

Reformation a proposé une collection très inspirée du lehenga (tenue indienne de mariage) sans une seule mention de l’Asie du Sud. Le style « romance d’été » avait bon dos.

Cela ne ressemblerait-il pas étrangement à ces tenues-là ? Ah non… il s’agit simplement d’actrices indiennes portant un voile scandinave, parfaitement adapté à un été européen.

Oh Polly et le sharara rebaptisé


@lashkaraa

So this is called a sharara @Oh Polly Maybe next time let South Asian brands continue making them? Thanks sharara

♬ original sound – Changing Currents

Oh Polly a vendu des ensembles qui ressemblaient à s’y méprendre à des shalwar kameez, renommés pour l’occasion « ensembles bohèmes ». Quelle créativité ! Pourquoi ne pas appeler un kurta un « top fluide à vibration lunaire » ?

Gucci et le turban sacré

Gucci a présenté un turban sikh comme accessoire de mode. Oui, un turban sikh. Mis en vente. À 790 dollars. Parce que rien ne dit « haute couture » comme l’appropriation religieuse tarifée à trois chiffres.



L’inspiration, c’est quand la source est reconnue. L’appropriation, c’est quand l’origine est effacée pour mieux briller dessus. Et la communauté sud-asiatique en a assez d’être décorative. Elle ne jouera plus les muses inspirantes pour des créateurs qui ne savent même pas où se trouve le Punjab sur une carte (spoiler : ce n’est pas en Norvège).

La culture sud-asiatique n’est pas un buffet libre où les marques viennent piocher sans payer la note (ni le respect). Les vêtements de cette communauté portent des histoires, des douleurs, des résistances. Ils ne sont pas là pour embellir un feed Instagram ou compléter un look « ethnique-chic ». Le fait que cette esthétique soit maintenant rebrandée comme « minimaliste, bohème et estivale », tout en gommant son ancrage culturel et sa signification, n’est pas une innovation, c’est une invisibilisation.

Et rappelons-le une bonne fois pour toutes : ce n’est plus l’époque coloniale. La main-d’œuvre est encore trop souvent sud-asiatique, mais le crédit, la visibilité, et les profits continuent d’aller aux anciens centres de pouvoir. Ce schéma-là — voler l’esthétique, ignorer l’héritage — est un héritage colonial qu’il est temps de briser.


La communauté sud-asiatique n’est plus en 2005. Elle a TikTok, Instagram, des blogs, des médias, et surtout des voix. Et elle sait les utiliser. Chaque dupatta « scandinave » sera pointé du doigt. Chaque turban déplacé, chaque sari dénommé « wrap dress » fera l’objet d’une réplique mordante et stylée.

Cette culture peut être admirée, mais elle doit être respectée. Parce qu’à chaque fois que ses symboles sont dénaturés, c’est sa dignité qui est niée. Et cela, la communauté sud-asiatique ne le laissera plus passer.

Alors à ceux qui découvrent cette culture comme un nouveau filtre Instagram : elle vous voit. Et elle ne se taira pas. Le respect n’est pas un accessoire saisonnier. Et ses traditions ne sont pas à votre disposition.

Et voici pour finir, Kareena Kapoor s’inspirant d’un look scandinave dans K3G.