Entre mémoire, spiritualité et effervescence, une capitale qui ne dort jamais. Dhaka, la ville de mes origines paternelles, est un lieu que je découvre toujours avec un mélange de curiosité et de tendresse : entre l’attachement familial et la fascination pour son rythme animé. C’est pour moi un monde à part où chaque visite ravive un lien intime avec mes racines.

Une capitale qui pulse entre chaos et tendresse

Dhaka, capitale vibrante du Bangladesh, est une ville où le chaos et le réconfort coexistent à chaque coin de rue. Entre le tumulte des rickshaws, les parfums d’épices qui flottent dans l’air et les reflets de la rivière du Buriganga au coucher du soleil, elle incarne à la fois l’énergie d’un pays en plein essor et la mémoire d’une histoire ancienne.

Dhaka city scape, Nomad Paradise

Un voyage à travers les siècles

Fondée au XVIIᵉ siècle, ce carrefour commercial, culturel et spirituel, Dhaka voit se succéder sultans, colons et révolutionnaires, chacun laissant une empreinte sur son architecture et son âme.

Sous les sultans du Bengale, elle prospère comme centre administratif et spirituel, avant de devenir, au XVIIᵉ siècle, un joyau du pouvoir moghol sous le règne de l’empereur Jahangir, lorsque le gouverneur Islam Khan en fait sa capitale. La ville est réputée pour ses muslins d’une finesse légendaire, prisés dans le monde entier. On dit qu’un rouleau de plusieurs mètres de ce tissu pouvait passer à travers un anneau ou tenir dans une boîte à allumettes.

« Lady In Fine Dhaka Muslin », de Francesco Ronaldi à Dhaka, 1770.

Plus tard, la domination britannique transforme la ville : les quartiers coloniaux, les bâtiments de style victorien et la création de l’université de Dhaka en 1921 témoignent encore de cette période.

Puis vient le souffle révolutionnaire du XXᵉ siècle : des mouvements nationalistes contre l’Empire britannique aux luttes pour l’autonomie du Pakistan oriental, qui culminent avec la guerre d’indépendance de 1971.

Les monuments de la mémoire

Parmi les témoins de cette histoire, Ahsan Manzil, le « Palais rose », s’impose comme un bijou architectural au bord du Buriganga. Ancienne résidence des nawabs (seigneurs) de Dhaka, il incarne la splendeur aristocratique d’un autre temps. Son dôme et ses façades pastel, baignés de lumière au crépuscule, rappellent la gloire d’une ville autrefois reine du commerce.

Ahsan Manzil – Pink Palace, Nijhoom Tours

À quelques kilomètres de là, Sonargaon, ancienne capitale médiévale du Bengale, transporte les visiteurs dans un passé encore plus lointain. Entre les ruines, les maisons coloniales et les musées artisanaux, on y ressent la grandeur d’un âge d’or disparu : celui des tisserands et des marchands de soie.

Autre lieu chargé d’émotion : le Shaheed Minar, monument dédié aux martyrs du Mouvement pour la Langue de 1952. Chaque année, le 21 février, des milliers de personnes s’y rassemblent, pieds nus, les bras chargés de fleurs, pour honorer ceux qui ont donné leur vie afin que le Bangla devienne langue nationale. Sobriété et puissance s’y mêlent, comme dans une prière silencieuse pour la liberté.

Shahid Minar Central, Ruchi Explore Limitless

Une ville en mouvement perpétuel

Aujourd’hui, Dhaka est l’une des métropoles les plus dynamiques d’Asie du Sud. Entre les tours modernes de Gulshan, les marchés animés de New Market et les passages bondés de Mirpur, la ville bouillonne d’activités, d’idées et d’ambitions. Les étudiants se pressent dans les cafés pour décompresser mais aussi pour débattre d’avenir et de politique, tandis que les travailleurs inondent les routes à moto ou en bus, dans un ballet urbain incessant.

Derrière ce bruit, Dhaka respire une vitalité incomparable, celle d’une ville qui ne dort jamais. Les sourires des vendeurs ambulants, les appels à la prière résonnant entre les toits, ou les enfants jouant dans les ruelles du fort de Lalbagh rappellent que Dhaka est avant tout une ville de cœur, où la solidarité et la débrouille tissent le quotidien.

Fort de Lalbagh, de Kafoor sur Flickr

Foi et coexistence

Dhaka est une mosaïque de croyances et de dévotions.

La mosqué national de Baitul Mukarram, majestueuse avec son architecture cubique inspirée de la Kaaba, se dresse au cœur de la ville comme un symbole d’unité spirituelle. Aux heures de prière, l’agitation s’efface, et Dhaka semble retenir son souffle.

Non loin, le temple de Dhakeshwari, dédié à la déesse Durga, protectrice de la ville, offre un contraste lumineux. Ses murs ocre, ses guirlandes de fleurs et ses chants rituels racontent une autre facette de la capitale, celle d’une paix ancienne et d’un pluralisme harmonieux.

Temple Dhakeshwari, Nijhoom Tours

Traditions, art et culture vivante

Le mois de février illumine la ville avec l’Ekushey Boi Mela, la grande foire du livre célébrant la langue Bangla : symbole de la lutte linguistique et identitaire du peuple. Dans les galeries de Dhanmondi ou à la Shilpakala Academy, de jeunes artistes explorent les mythes de la région, peignant une société entre mémoire et modernité.

La musique baul, mystique et envoûtante, résonne encore dans certains quartiers, tandis que les chants de Tagore, ou les poèmes de Kazi Nazrul Islam rappellent que la culture bengalie est une force de résistance autant qu’un souffle poétique. Les fêtes comme l’Eid, le Durga Puja ou encore Pohela Boishakh (le nouvel an bengali) transforment la ville en un immense théâtre coloré, où les prières, la danse et la joie se fondent dans une même ferveur.

Poète Kazi Nazrul Islam

Des saveurs réconfortantes

La gastronomie de Dhaka est un voyage sensoriel où chaque plat raconte une part de l’âme bengalie. Au petit matin, le nihari accompagné de laacha porota, mijoté longuement avec divers épices, réchauffe les ruelles encore calmes. Vers midi, le kacchi biryani aux arômes riches, souvent préparé à la manière de Puraan Dhaka (Vieux Dhaka), réunit familles et amis autour d’un festin partagé.

Dhakai Kacchi Biryani, de MyDrom

Et pour le nasta, ce goûter salé typique de l’après-midi ? Les échoppes de rue sont remplies de délices dorés populaires : shingaras et pokoras croustillants, fuchka débordant de tamarin, chotpoti relevé de pois et d’épices, ou encore haleem, ce ragoût onctueux à base de lentilles et de viande. Tout ceci à savourer avec un verre fumant de chaa, le thé au lait sucré.

Au restaurant Nirob, les bhortas, écrasés de légumes ou de piments, et les plats de poissons, assaisonnées d’huile de moutarde, incarnent l’essence authentique et simple de la cuisine bengalie

Shorshe Ilish, mijoté de poisson Hilsa à la moutarde, de The Spicy Odyssey

Et lors des célébrations, le fameux biyebarir roast, ce poulet rôti nappé d’une sauce sucrée et parfumée, rappelle la générosité et la convivialité propres à Dhaka.

Un lien personnel et indélébile

Chaque séjour à Dhaka me ramène à une part de moi-même que je ne retrouve nulle part ailleurs, et pas seulement à cause de ma gourmandise. Se balader dans les ruelles du vieux Dhaka en rickshaw, sentir l’humidité du soir sur la peau, essuyer ses larmes à cause d’une bouchée trop épicée de fuchka, c’est renouer avec une mémoire apaisante et goûter aux petits plaisirs de la vie.

Aquarelle Cityscape Dhaka, How to Paint Rickshaw painting, de Shahanoor Mamun

Dhaka m’enseigne la patience et la gratitude. Elle me rappelle que la beauté peut naître du désordre, que la chaleur humaine compense souvent les imperfections du monde. Cette ville n’est pas facile à aimer, elle exige qu’on la comprenne, qu’on l’écoute, mais une fois qu’on l’a adoptée, elle ne vous quitte plus.

Dhaka n’est pas qu’un lieu sur une carte : c’est une émotion, un souvenir vivant, un battement de cœur