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Naufrage d’un bateau de migrant en Grèce : L’argent comme mesure de la valeur d’une vie ?

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

C’est en me référant à cette citation que je vais amorcer mon pamphlet tout en étant consciente que les idées qui seront avancées ne rallieront certainement pas l’ensemble des opinions. Mais autant dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Ce discours se veut une invitation à la réflexion, une opportunité de remettre en question nos priorités et la lâcheté dont fait preuve notre société aujourd’hui.

Le paradoxe des priorités

Qui n’a pas entendu parler du fameux submersible appelé « Titan » ? Qui n’a pas été informé de l’émoi suscité par la disparition tragique des cinq milliardaires à son bord ? Qui n’a pas été témoin de l’ampleur de la mobilisation des médias, des sphères politiques et des États, animés par une volonté commune de porter secours et de rendre un vibrant hommage aux victimes ? Nul ne saurait opposer une réponse négative à ces interrogations, témoignant ainsi d’un remarquable travail médiatique et d’un rassemblement digne de tous les éloges.

Nous ne pouvons que nous associer à la profonde tristesse qui émane de cette tragédie et sommes touchés à bien des égards, par le déroulement de ces événements. Mais, car il y a bien un mais, nous sommes, au même titre, attristés, touchés et indignés par le naufrage du bateau de migrants en Grèce, ce qui ne semble pas être le cas des personnes et instances précités. 

Attristés car ce sont également des êtres humains qui sont morts, très nombreux, des femmes, des enfants des personnes âgés etc. Eux, contrairement aux autres, ce voyage ils ne l’ont pas choisi, ils ont été contraints de le faire, contraints de mettre leurs vies en péril dans l’espoir de trouver une vie meilleure. Leur situation est des plus précaires et leur sort s’est malheureusement scellé.

Touchés par ces nombreuses personnes qui fuient leurs terres quoiqu’il en coûte. Il s’avère malheureusement que cela leur a coûté la vie.

Indignés par la disparité manifeste de traitement dont de nombreux témoignent. Que ce soit l’intervention des secours ou la couverture médiatique. Nous sommes consternés par l’indifférence totale des mêmes personnes qui se sont mobilisées avec ferveur pour le sauvetage du sous-marin. Cette disparité révèle une insensibilité choquante envers la souffrance et la détresse des migrants, qui méritent une attention et une solidarité tout aussi ardentes voire plus. 

Les faits

Tout commence dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 juin : à 87 km au large des côtes de la péninsule du Péloponnèse, un navire est en grande difficulté. Un bateau de pêche vétuste, surchargé, débordant de plusieurs centaines de personnes qui finira par couler, dans des circonstances encore floues.

Selon les autorités grecques, le bateau de pêche transportait au moins 750 personnes, dont une centaine d’enfants / Hellenic Coast Guard/Handout via REUTERS.

Ce même jour, à 8 heures du matin, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes signale la première observation du chalutier et alerte les autorités grecques.

A 12h17, l’ONG Alarm Phone reçoit le premier appel de détresse du chalutier et informe les autorités grecques de la gravité de la situation humanitaire à bord. Quelques instants plus tard, un hélicoptère des garde-côtes effectue une reconnaissance visuelle du chalutier et confirme que le navire maintient une vitesse constante. 

Enfin, à 23h00, le chalutier a coulé en moins d’une minute, presque devant le bateau de patrouille des garde-côtes grecs.

Selon une enquête de la BBC, le bateau avec environ 700 migrants à bord est demeuré immobile pendant plus de sept heures avant de sombrer. Cela va à l’encontre de la version des garde-côtes grecs, qui soutiennent que le navire se dirigeait vers l’Italie et ne nécessitait pas de secours.

Nous savons dans quel état d’esprit l’Europe baigne aujourd’hui. Sept heures et aucune intervention digne de ce nom n’a été réalisée. Les gardes-côtes avaient repéré le navire dès la journée du mardi mais ils ont abandonné les passagers à leur sort, n’intervenant que le mercredi matin lorsqu’il était déjà trop tard. 

Au moins 300 pakistanais à bord

Selon l’hebdomadaire britannique The Observer, de très nombreux Pakistanais étaient également bloqués dans les entrailles du chalutier et ils étaient battus par l’équipage lorsqu’ils tentaient d’en sortir pour respirer ou rechercher de l’eau douce. Les informations de médias locaux pakistanais évoquent la disparition dans le naufrage de plus de 300 personnes, dont 135 venant de la région du Cachemire.

Le Pakistan est secoué par un drame qui se joue à des milliers de kilomètres de son sol, aux frontières de l’Europe. Un jour de deuil national a été observé lundi 19 juin, en hommage aux nombreux Pakistanais qui ont trouvé la mort dans ce naufrage.

Douze Pakistanais figurent parmi les rescapés, a rapporté samedi le ministère des Affaires étrangères pakistanais, qui ignore encore combien de ressortissants se trouvaient à bord. Mais il affirme que leur nombre pourrait être supérieur à 300.

Le Pakistanais Adil Hussain, dont le frère Matloob, 43 ans, se trouvait à bord du bateau qui a fait naufrage au large de la Grèce le 14 juin 2023. Kalamata, Grèce, le 16 juin 2023 / Reuters.

Le média américain VOA a pu échanger avec la famille de Muhammad Akash, un Pakistanais de 21 ans qui se trouvait à bord du bateau et n’a pas survécu à ce voyage. “Cette terrible nouvelle nous a laissés dans une profonde tristesse”, a confié son oncle à l’AFP. À la veille du départ, Muhammad avait appelé sa famille pour leur demander de prier pour lui, inquiet d’embarquer pour cette dangereuse traversée. Sa famille s’était cotisée pour payer le passeur qui avait organisé son voyage depuis le Pakistan via Dubaï, l’Égypte puis la Libye.

Shahnaz Bibi raconte à l’AFP avoir parlé par téléphone à son fils Inaam Shafaat, 20 ans, un jour avant le départ du chalutier :

“La nuit, il m’a dit que le temps n’était pas clair. Je lui ai dit de ne pas monter sur le bateau, mais il ne m’a pas écoutée”, dit Mme Bibi, la cinquantaine, après avoir donné un échantillon d’ADN dans un hôpital local.

Il m’a dit “Mère, je vous laisse sous la protection d’Allah. Priez pour moi”, ajoute-t-elle, la voix éraillée à force d’avoir pleuré, en essuyant quelques larmes avec son châle.

La mère d’un migrant pleure son fils, disparu dans un naufrage en mer Ionienne, à Bandli au Pakistan, le 20 juin 2023.

Les services de renseignements pakistanais ont également posté un message sur Twitter, invitant toutes les personnes qui auraient des informations relatives à l’organisation du voyage des victimes vers l’Europe à les partager avec eux.

Une médiatisation à géométrie variable

L’incident du submersible a incontestablement fait la une de tous les médias et a alimenté les débats sur les plateaux de télévision du monde entier depuis sa disparition. Nous avons été informés de chaque minute d’oxygène qui leur restait, chaque détail de cette tragédie a été minutieusement rapporté, nous permettant de suivre les développements au fil des minutes qui s’égrainaient.

S’agissant des interventions, de très gros moyens ont été déployés : surveillance aérienne à l’aide d’avions C-130 ou P3, navires dotés de robots sous-marins etc. La France, le Canada et les Etats Unis ont su s’unir en mettant en oeuvre une stratégie de recherche en un temps record, pouvant intervenir jusqu’à 4000 mètres de profondeur. 

Je ne peux que déplorer la récupération politique de ces événements par certains élus, mais je ne peux rester silencieuse face à cette flagrante différence de traitement que les deux tragédies ont suscité et je ne suis pas la seule à avancer de tels propos. 

Barack Obama, regrette qu’on porte plus d’attention au « Titan » qu’au naufrage de 700 migrants en Grèce. En effet, lors d’une conférence à Athènes jeudi dernier, l’ancien président des États-Unis s’est exprimé sur la différence de traitement entre les deux drames, survenus à seulement quelques jours d’écart.

« Il il y a eu une tragédie avec un sous-marin qui a été couverte par les médias, minute par minute, partout dans le monde (…) Mais le fait qu’on y accorde plus d’importance qu’à 700 personnes, des demandeurs d’asiles, noyés en Grèce, est une situation intenable », a t-il déclaré. 

Des parents de migrants disparus dans le naufrage en mer Ionienne sont venus à Bandli, au Pakistan, pour faire prélever leur ADN, le 20 juin 2023 / Laprovence.com.

Une intervention lente et malhonnête : l’argent définit-il la valeur de notre vie ?

Suite à la lenteur de l’intervention de sauvetage, des interrogations surgissent quant à l’utilisation de cordes par les gardes-côtes pour remorquer le chalutier en détresse.

Le silence gêné et coupable des autorités grecques accompagne depuis presque une semaine ce drame qui ne doit rien à la fatalité mais tout à la lâcheté et à l’indignité de ces dernières.  Si une enquête est actuellement en cours, les survivants ne cessent d’accuser les garde-côtes grecs d’avoir délibérément tenté de repousser leur navire loin des côtes, abandonnant ainsi ces naufragés à une mort certaine.

Voilà ou nous en sommes, nous laissons délibérément mourir des femmes, des enfants et plus d’une centaine d’hommes sous nos yeux au lieu de les secourir comme le dicte le droit maritime et la plus élémentaire humanité. Nous les condamnons à une sépulture en mer. Ces propos ont été portés par Aymeric Caron, député français, à l’hémicycle suite à ce drame. Ce dernier a demandé une minute de silence qui a lâchement été refusée par la Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pive.

Un survivant du naufrage du bateau, à côté du personnel médical du port de la ville de Kalamata (Grèce), le 14 juin 2023. (ANGELOS TZORTZINIS / AFP)

Qui est responsable ?

L’Europe elle-même doit être tenue pour responsable de son inaction. Elle fait lâchement preuve d’une indifférence inacceptable envers ces personnes qui cherchent désespérément un refuge et une vie meilleure. Au lieu de leur tendre la main, nous détournons le regard et les laissons périr.

Où est donc passé le respect des principes essentiels de l’humanité ? L’Europe, qui se targue pourtant d’accorder une priorité absolue à la vie et à la dignité de chaque être humain, devient le triste théâtre de leur enterrement, un vaste cimetière où résonnent les lamentations funèbres. Ironie du sort, c’est elle-même qui s’est enrichie jadis en les exploitant, mais aujourd’hui, une fois repue, elle les contemple passivement périr dans leur quête d’échapper aux fléaux qu’elle a engendrés. Elle renie à présent la dignité humaine et les principes fondamentaux de notre humanité au profit de considérations discriminatoires ou xénophobes.

La crise migratoire en Méditerranée est un drame humanitaire d’une ampleur considérable, pourtant souvent négligé par les médias et la classe politique. Pendant ce temps, un événement tel que celui mentionné suscite une attention démesurée. Ce n’est pas tant la mise en avant de tels événements qui est critiquée ici, car malgré tout, il y a eu des vies humaines perdues et nous ne pouvons qu’être attristés par cette tragédie. Ce que je dénonce et sur quoi je souhaite attirer votre attention, c’est le contraste entre ces deux traitements, qui soulève des questions quant à nos priorités et nos valeurs en tant que société, et suggère que l’argent joue un rôle prépondérant dans notre évaluation de la vie humaine.

@PEZdessinateur

Il est troublant de constater que les drames qui touchent les migrants, dans leur quête désespérée d’une vie meilleure, sont souvent relégués au second plan, comme si leur existence avait moins de valeur que celle d’autres individus. L’attention médiatique et les ressources déployées ne sont pas à la hauteur de l’ampleur de la tragédie humaine qui se déroule sous nos yeux. 

Cette disparité de traitement met en évidence des incohérences flagrantes dans nos priorités. Les vies des migrants, confrontés à des conditions extrêmes et à des dangers mortels, semblent être considérées comme moins précieuses que celles d’autres personnes. Comment pouvons-nous prétendre accorder une importance absolue à la vie et à la dignité de chaque être humain, tout en négligeant de manière si choquante ceux qui sont les plus vulnérables et dans le besoin ?

Les rares fois où de tels événements trouvent écho médiatique, c’est pour stigmatiser les migrants et renforcer les discours de l’extrême droite qui sème la peur au sein de notre société, en nous persuadant que nous ne pouvons en aucun cas accueillir ces personnes sur notre sol.

Prenons donc le parti de les rejoindre sur ce terrain, si cette migration les dérange tant. Cherchons les racines du problème au lieu de nous focaliser sans relâche sur ses conséquences. Car oui, l’immigration n’est qu’une conséquence des décisions prises par nos gouvernements. Elle est le fruit des accords inéquitables qu’ils concluent, avantagent eux-mêmes et laissent les habitants des pays signataires mourir à petit feu. Ce sont ces mêmes conventions bilatérales ou multilatérales qui entravent le développement des nations en voie de développement, ne faisant qu’alimenter davantage les pays développés. Et après cela, ils s’étonnent de l’immigration. Avant de leur reprocher quoi que ce soit, songeons aux circonstances qui poussent ces individus désespérés à venir jusqu’ici. Des circonstances dont vous êtes la première des causes. 

Dans notre société axée sur l’argent et le matérialisme, il est inévitable que la valeur d’une vie humaine soit souvent évaluée en fonction de ces critères. Les médias et la classe politique ne sont malheureusement pas immunisés contre cette tendance.

N’est-il pas temps de remettre en question ces politiques injustes et d’agir en faveur d’une réelle solidarité internationale ? Plutôt que de céder à la manipulation des discours populistes, investissons nos énergies dans la recherche de solutions durables, basées sur la coopération et le respect des droits fondamentaux de chaque être humain. Ne fermons pas les yeux sur les souffrances qui se jouent aux frontières, mais agissons avec courage et compassion pour bâtir un monde plus juste devrais-je dire. 

L’équipe IAMDESI tient à rendre un vibrant hommage aux victimes. Nos pensées et nos prières vont aux familles des victimes, à qui nous adressons nos plus sincères condoléances.

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